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Comme la voiture thermique, la pêche au chalut de fond est vouée à disparaitre 

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pecheurs manifestent brest mort de la peche FRED TANNEAU AFP

“Journées mortes dans les ports”. Une première pour le secteur. Fin mars, des centaines de pêcheurs en colère ont laissé leur bateau à quai pour aller manifester. “On est là pour dire à l’Europe : arrêtez vos conneries”, témoigne Yann, un pêcheur breton interrogé par Le Télégramme. En ligne de mire, la proposition faite fin février par la Commission européenne d’interdire d’ici 2030 les engins de chalutage de fond dans les aires marines protégées (AMP) car ils “font partie des activités les plus répandues et les plus dévastatrices pour les fonds marins et les habitats qui y sont associés” précise-t-elle.

Une injustice de plus, dénoncent quant à eux les pêcheurs, déjà acculés par le Brexit, les quotas de pêche, la hausse du prix des carburants ou encore la restriction de la pêche dans certaines zones du Golfe de Gascogne afin de préserver les dauphins. “L’accumulation des normes, des menaces, des contentieux remet en cause le fondement même de notre métier en nous culpabilisant d’exercer nos métiers”, constate le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), qui représente la filière. “La coupe est pleine.” 

“Dans 30 ans, le chalut aura disparu, un peu comme la voiture thermique”

Pour la France, l’interdiction du chalutage de fond ferait disparaître un tiers de la flotte et laisserait sans emploi 4 350 marins-pêcheurs, selon les calculs du CNPMEM. “Aujourd’hui, les engins de fond produisent la moitié de la pêche française soit près de 204 000 tonnes pour une valeur d’environ 500 millions d’euros”, détaille le Comité dans un communiqué. “Plus largement, c’est la porte grande ouverte à encore plus d’importations des pays-tiers comme la Chine, la Russie ou la Norvège! (…) On ne joue pas à la roulette russe avec l’avenir d’une filière”, conclut Olivier Le Nézet, son président.

L’association Pleine mer, qui œuvre pour une transition durable de la pêche depuis quatre ans, reconnaît elle aussi que “dans l’état actuel des choses, une telle mesure aurait des impacts socio-économiques catastrophiques”. Et ce sont les pêcheurs artisanaux qui seraient les premiers touchés. “75% des bateaux dans les AMP sont artisanaux, explique à Novethic Thibault Josse, le coordinateur de Pleine Mer. On a tendance à penser que la pêche artisanale est forcément bonne pour l’environnement, mais ce n’est pas toujours le cas. En baie de Saint-Brieuc par exemple, couverte par une AMP sur 20% de sa surface, on parle d’entreprises familiales qui mettraient la clef sous la porte si on interdisait l’usage de la drague du jour au lendemain”.

Toutefois, l’association insiste aussi sur le fait que l’interdiction du chalut est inévitable dans les AMP. “Dans 30 ans, le chalut aura disparu, un peu comme la voiture thermique. Et rien n’y changera, c’est l’opinion publique qui veut ça : on ne peut pas dire que des zones sont protégées si on y utilise des techniques de pêche impactantes pour l’environnement. Donc autant préparer cette interdiction”. Elle propose ainsi de revoir les zones d’AMP en concertation avec les pêcheurs et d’inciter financièrement ces-derniers à se tourner progressivement vers de nouvelles techniques de pêche alternatives.

La pêche au chalut est “la méthode de pêche la plus consommatrice de carburant en Europe” 

Au cœur de la transition du secteur, il y a aussi sa décarbonation afin de réduire au maximum l’utilisation des énergies fossiles, qui plus est dans un contexte d’envolée des prix. Or, comme le rappelle l’ONG Oceana dans un rapport sur le sujet publié le 1er février, la pêche au chalut est “la méthode de pêche la plus consommatrice de carburant en Europe” car les chalutiers ont besoin d’une force de traction importante pour tirer le chalut. Outre la protection de l’environnement, la fin du chalut présente donc aussi un avantage économique. 

Ainsi, l’ONG propose de s’attaquer aux subventions aux carburants versées aux pêcheurs. Le gasoil est en effet défiscalisé pour les pêcheurs professionnels. Or, selon un rapport publié par Our Fish le 12 avril sur les subventions de l’UE, “avec une taxe de 33 centimes par litre en 2019 (le niveau minimum de taxation applicable aux carburants), l’UE aurait pu payer les salaires de 20 000 pêcheurs pendant un an ou 6 500 projets de réduction de la consommation d’énergie et de décarbonisassions”. Ces discussions pourraient être engagées dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la taxation de l’énergie. 

Nécessité d’un débat démocratique 

Et si cette crise, ce mouvement historique initié par les pêcheurs, était finalement une opportunité pour se transformer durablement face à l’urgence climatique, le déclin de la biodiversité, la crise énergétique mais aussi le manque d’attractivité de la profession chez les jeunes. Oui mais, “le secteur de la pêche artisanale française fait face à une classe politique totalement déconnectée des réalités des pêcheurs et à des institutions ‘représentatives’ toujours plus gangrenés par les lobbys de la pêche industrielle”, regrette Pleine Mer. “C’est aussi une profession très solitaire, où il est difficile de s’organiser colectivement“, complète Thibault Josse.

Parmi l’une des revendications du mouvement des “Pêcheurs en colère” qui ont manifesté fin mars, il y avait justement la dissolution du Comité national des pêches*. Celui-ci est en outre accusé d’avoir mis le feu aux poudres. Le secrétaire d’État à la Mer, Hervé Berville, est également très critiqué. Il a en effet affirmé à plusieurs reprises que le Plan publié par la Commission européenne sur le chalut de fond allait “condamner la pêche artisanale française et l’amener à disparaître, pas dans 10 ans, demain“, laissant entendre que celui-ci était contraignant, ce qui n’a jamais été le cas. Il ne s’agissait que d’une proposition.

Puis après s’être rendus à Bruxelles, le gouvernement et le Comité des pêches se sont félicités de la “victoire” en réalité imaginaire qu’ils avaient remportée. Dès lors, l’association Bloom a porté plainte contre Hervé Berville devant la Cour de Justice de la République pour ses “propos mensongers” qui “ont abîmé la possibilité de mener un débat démocratique éclairé et apaisé concernant les transitions que nous devons entamer”. Pour rappel, dans ce contexte explosif, les bureaux de l’Office français de la biodiversité ont été incendiés à Brest. 

Concepcion Alvarez

* Novethic a sollicité une interview auprès du Comité national des pêches, qui n’a jamais donné suite malgré les nombreuses relances.  

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