Il y a longtemps, le pouvoir réprimait la grève dans le sang. Aujourd’hui, il le fait d’abord avec les mots et les médias (plus quelques morts, des amputés et des éborgnés si besoin…). En face, avec la hausse des prix, on hésite avant de s’asseoir sur plusieurs journées de salaire. Il y a aussi les violences policières, des syndicats affaiblis, plus aucune grande victoire depuis 20 ans, des services publics massacrés, les droits civiques en berne. Et l’avènement d’une société individualiste de plus en plus consumériste. Où l’impopularité d’une grève est en partie indexée sur la gêne occasionnée chez les usagers. Mais alors, à quoi ça sert de manifester ?
Pour le frisson d’abord. Ah, la grève ! Ça nous rappelle nos premières manifs, les fumigènes, les pancartes, les slogans, les yeux qui picotent, les chiffres selon les organisateurs et selon la police, l’odeur des merguez en fin de cortège, les moments à danser derrière la sono de la CGT. Et surtout le bon moyen pour sécher les cours au lycée. Ne rien faire, donc. Car la grève, c’est simple comme bonjour. L’écrivain Jack London (1) nous plonge au cœur d’une grève générale. Un matin, les notables de San Francisco se réveillent et n’ont ni chauffeur, ni cuisinier, ni femme de ménage… Les ouvriers ont déclenché une grève interprofessionnelle illimitée. La production s’arrête et plus rien ne rentre dans le porte-monnaie des patrons. S’engage alors un véritable rapport de force, où le prolétariat et le patronat doivent causer.
C’est aussi respecter le passé. « En France, la grève est le seul moyen pour conquérir les droits sociaux », explique l’historien Stéphane Sirot (2). Il suffit de se plonger dans l’histoire sociale pour s’apercevoir que toutes nos avancées ont été conquises avec les dents. Et souvent en refusant de bosser. La grève générale naît au XIXe siècle. Un concept politique créé par les anarco-syndicalistes, basé sur le refus d’obéir et de servir, qui se développe rapidement avec l’industrialisation du travail. Les plus connues ? En 1936, on gagne la semaine de 40 heures et 15 jours de congés payés. En 1995, le gouvernement Juppé retire son projet de réforme des retraites. En 2005, le CPE est supprimé.
Occuper l’espace public. Vivre ensemble. C’est aussi le moment de prendre le temps d’observer comment on fait société ensemble. Et d’imaginer, de changer les règles du jeu. Contre La loi El Khomri sur le travail, on organise Nuit Debout en autogestion, contre Parcoursup, on bloque les facs.
Et surtout pour la démocratie. N’en déplaise à Macron et sa clique, la grève est un témoin clé des aspirations d’un pays. « Ce qui explique d’ailleurs qu’elle fût longtemps interdite dans la plupart des dictatures de gauche ou de droite. » (3) Moins le pouvoir est populaire et plus la mobilisation sociale est soutenue. Ce qui augure un printemps social. Encore une bonne raison de croire en nos grèves…
Clément Villaume
1- Grève générale, Jack London, 1909, éd. Libertalia, 104 pages, 8 €.
2- À lire le dossier passionnant de la revue Limite, « Grèves : la lutte pour la maintien », oct. 2018, en accès libre sur internet.
3- La grève en débat, Guy Groux et Jean-Marie Pernot sur cairn.info.
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