Publié le 30 avril 2023
ENVIRONNEMENT
L’or bleu français est menacé et certaines municipalités commencent à en tenir compte. La ville de Grigny a demandé à l’usine Coca-Cola, installée sur la commune, d’arrêter de puiser dans la nappe phréatique l’eau nécessaire à la production de ses boissons. Ce bras de fer autour de la ressource en eau entre satisfaction des besoins incontournables des populations et exigences industrielles préfigure des remises en cause massives de modèles économiques de plus en plus fragiles.
“L’heure du courage écologique et des solutions pour la planète est venue”. C’est ainsi que commence le post LinkedIn d’Aymeric Duvoisin, le directeur de cabinet du maire de Grigny dans l’Essonne pour annoncer que la ville “demande à l’usine Coca-Cola de cesser de puiser, dans la nappe phréatique, l’eau nécessaire à la production de ses boissons”. Cette demande émane du maire de la commune Philippe Rio qui est aussi le président de la Régie de l’Eau et le vice-président de l’agglomération Grand Paris Sud engagé dans une transition écologique et solidaire.
Il propose à l’industriel une solution alternative : approvisionner l’usine avec l’eau de surface qui serait en quantité suffisante afin cesser de “s’attaquer aux réserves naturelles de la planète”. Aymeric Duvoisin conclut : “L’urgence climatique oblige à créer une nouvelle vision économique de la gestion de l’eau pour répondre à sa raréfaction progressive et aux sécheresses à venir.”
1,27 litre d’eau par bouteille
L’eau ne figure pas dans les trois priorités du plan d’action durable que s’est fixé Coca Cola pour 2025. La compagnie s’est malgré tout donné un objectif : “se ré-approvisionner en eau à 100 % dans les lieux de fabrication“. Cela ne dit rien de sa capacité à résoudre une équation très complexe quand l’eau vient à manquer. Pour chaque litre de Coca-Cola produit, il faut en moyenne 1,27 litre d’eau. En 2020, l’usine de Grigny a donc pompé 750 000 m3 d’eau pour produire 590 millions de litres de boissons, l’eau étant prélevée dans la nappe phréatique d’un terrain qui lui appartient et qu’elle est la seule à utiliser. L’entreprise bénéficie de plus d’un arrêté préfectoral limitant à 1200 000 m3 par an les prélèvements annuels de ses trois forages, limite qu’elle n’aurait jamais dépassée.
Pour le maire de Grigny cette organisation économique relève d’une autre époque où les sécheresses à répétition provoquées par le réchauffement climatique n’étaient pas une priorité. Grâce à la médiatisation de sa demande, il a obtenu de Coca-Cola l’ouverture de discussions pour changer son mode d’approvisionnement en eau. Il lui propose de “s’abreuver” au réseau urbain ce qui lui coûtera beaucoup plus cher : 3,5 euros par m3 soit 2 625 000 euros par an en moyenne. Le maire de Grigny estime que la compagnie Coca Cola est apte à intégrer ses coûts dans son business model pour préserver cette ressource indispensable à la fabrication de ses boissons. Elle est sans doute d’autant plus prête à négocier qu’elle a déjà été confrontée aux tensions sur la ressource en eau.
Fermeture d’une usine en Inde pour préserver les ressources
En Inde en 2014 elle a dû fermer son usine de Vasanari près de Bénares dans l’Uttar Pradesh. Après un long combat des populations locales qui dénonçaient autant la pollution que les prélèvements des nappes phréatiques, les autorités environnementales ont demandé l’arrêt de l’usine installée depuis 15 ans et exigé de la compagnie Coca Cola qu’elle remette en état l’environnement en “prenant des mesures appropriées pour rétablir les nappes phréatiques à un niveau deux fois supérieur à ce qui a été au volume d’eau prélevé.”
Dans l’Essonne comme en Inde, Coca-Cola est confronté aux limites de son modèle économique bâti sur une eau à bas coût. S’adapter à de nouvelles conditions environnementales où l’eau est à la fois beaucoup plus rare et beaucoup plus chère sera d’autant plus coûteuse si la transformation est tardive. Le maire de Grigny après le gouvernement indien de la région d’Uttar Pradesh vient de lui rappeler que les tensions sur l’eau menacent l’existence même de ses usines d’embouteillage.
Anne-Catherine Husson-Traore, Directrice des publications
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