Salarié ou employeur qui pense être lésé par le manquement d’un médecin à ses obligations déontologiques peut porter plainte auprès de l’ordre des médecins. L’antenne départementale reçoit la plainte et propose une conciliation. En cas d’échec, le niveau régional statue. La chambre disciplinaire du conseil national de l’ordre traite ensuite les appels. ► Romain Bossut, jeune médecin du travail, vient de consacrer sa thèse à ces dernières affaires. |
Vous vous êtes penché sur les plaintes à l’encontre de médecins du travail arbitrées par le Cnom (conseil national de l’ordre des médecins) entre 2000 et 2020. Que racontent les 67 cas analysés ?
Romain Bossut : 45 plaintes sont originaires de salariés, 17 d’employeurs. L’article du code de déontologie le plus invoqué (25 fois) est l’article 4 portant sur le secret professionnel. Viennent ensuite l’article 5 sur l’indépendance professionnelle (22 fois) et l’article 28 sur le certificat de complaisance (19 fois). Cela représente bien notre activité : une activité clinique, des échanges avec l’employeur et la délivrance de certificats.
Quand est-ce qu’il y a des différends ?
Romain Bossut : Près d’un tiers des cas concernent la procédure d’inaptitude. C’est logique puisque c’est la décision qui a le plus d’impact sur le salarié et l’employeur : un licenciement potentiel. Elle est donc sujette à litige. Les autres circonstances les plus fréquentes sont les échanges avec le médecin traitant ou un spécialiste, ou la rédaction de certificats.
Les condamnations sont-elles fréquentes ?
Romain Bossut : 36 % des plaintes aboutissent à une condamnation : 11 avertissements, 9 blâmes et 4 interdictions d’exercer. Le ratio plainte/condamnation varie selon les thématiques. Il est élevé pour l’article 28 : en général, le médecin est condamné quand il mentionne les dires du salarié comme des faits avérés. Par exemple, un médecin a été condamné pour avoir fait des “suppositions de graves comportements de harcèlement sexuel dans l’entreprise sans avoir constaté des faits précis permettant d’en déduire l’existence avec suffisamment de vraisemblance”. Un autre s’est prononcé sur le bien-fondé d’un droit de retrait amiante sans même connaître le chantier en question.
Un quart des cas évoquant le secret médical font l’objet d’une sanction. Quels sont-ils ?
Romain Bossut : Le conseil de l’ordre rappelle que le secret médical couvre non seulement les données à caractère médical, mais aussi toute information à caractère personnel que le médecin a vue, entendue ou comprise dans le cadre de la visite. Dans un cas, un médecin révèle dans un courrier à l’employeur le comportement harcelant d’une collègue sur la salariée. Il dévoile ce qu’elle lui a dit en visite, donc c’est une faute. Aussi, si on révèle la souffrance d’un salarié, on trahit le secret médical. En revanche, si on soulève des dysfonctionnements organisationnels qui peuvent engendrer des pathologies, nous sommes dans notre rôle de soulever un problème organisationnel. C’est une nuance importante.
Il y a finalement très peu de condamnations pour manquement à l’indépendance professionnelle…
Romain Bossut : Oui. Cela traduit une incompréhension du rôle du médecin du travail par le salarié et un manque de confiance en lui. Dans une affaire, une salariée reproche au médecin d’avoir eu des échanges avec l’employeur alors qu’ils n’ont eu d’autre objet que l’aménagement de ses conditions de travail. Je trouve marquant que la confiance soit brisée à tel point que le salarié se lance dans des procédures qui durent des années, même pas pour aboutir à un changement de fiche – qui est contestable aux prud’hommes, juste pour se venger du médecin…
Comment expliquer ce manque de confiance ?
Romain Bossut : Cela s’explique peut-être en partie par un manque d’information, de temps et d’écoute pendant la visite. J’essaie d’expliquer au salarié qu’il y a toujours une nuance entre ce qu’il pense et ce que je suis en capacité de justifier. Délivrer une aptitude par exemple, ne signifie pas que je ne prends pas en compte son sentiment de ne plus pouvoir travailler, mais que je n’ai pas d’argument pour le justifier. Nous sommes au cœur de situations avec des relations très tendues, c’est ensuite facile de mettre le doigt sur nous. Il faut donc déminer, mais cela nécessite du temps.
Y a-t-il une tendance à davantage porter plainte ?
Romain Bossut : Nous n’avons pas les chiffres départementaux ou régionaux, c’est-à-dire les plaintes qui s’arrêtent à la conciliation ou la première instance. Cela dit, sur les chiffres nationaux, si on part du principe que l’Ordre publie l’intégralité des affaires, on observe une augmentation : trois cas entre 2000 et 2005 contre 33 cas entre 2016 et 2022. Je pense que cela ira crescendo puisqu’il y aura de plus en plus de cas de RPS, et que l’augmentation de la population à suivre par médecin conduit à une diminution du temps disponible pour expliquer notre rôle.
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