Publié le 25 août 2022
ENVIRONNEMENT
Ancien technicien forestier, auteur de “Ce que les arbres nous murmurent”, Jean-Claude Nouard décrypte pour Novethic la “malforestation” en France où les forêts traditionnelles sont peu à peu remplacées par des forêts de “production” de résineux. Un choix lourd de conséquences pour la biodiversité et qui rend la forêt beaucoup plus vulnérable aux feux alors que plus de 50 000 hectares sont partis en fumée depuis le début de l’année en France.
Cet été a été dévastateur pour les forêts françaises avec des milliers d’hectares partis en fumée, notamment en Gironde. Estimez-vous que la gestion des forêts est à la hauteur ?
Non, aujourd’hui on ne voit la forêt qu’à travers son aspect économique. Tous les autres rôles de la forêt, rôles environnementaux, sociaux, sociétaux, sont mis de côté au profit de l’économie. On veut en faire une rentabilité immédiate, contrairement à nos anciens qui géraient la forêt avec le temps des forêts. On laissait aux chênes et aux châtaigniers le temps de pousser. Aujourd’hui, on est en train d’éradiquer toutes ces essences emblématiques pour faire des forêts de production. On ne prend même plus en compte le fait que l’arbre est un être vivant. Avec, on fait des planches et des charpentes, on a l’impression que c’est un matériau mort.
Les forêts traditionnelles avaient une très grande diversité d’essences avec une biodiversité extrêmement dense en raison de leur écosystème qui réunit végétal, animal et minéral. Or aujourd’hui on est en train d’y mettre un terme pour en faire des forêts monoculturales, principalement résineuses. En Dordogne, où je copréside l’association SOS forêt Dordogne, on trouve aujourd’hui principalement du pin maritime, donc on est sur une mono-essence pour parer à la demande économique.
Pourquoi ces “forêts de production” sont un problème ?
Je ne suis pas foncièrement anti-résineux, comme la plupart des associations environnementales. Mais si on veut résumer la situation, on peut dire qu’on est en train de faire de la forêt ce qu’on a fait de l’agriculture dans les années 50, 60. On est en train de la mécaniser à outrance. Pour ce faire, on essaie de réduire les rotations d’arbres. Les pins on les coupe tous les 30, 35 ans. On n’est plus sur des écosystèmes forestiers, on est sur des plantations d’arbres. Ce qu’on oublie c’est que la forêt c’est quelque chose de pérenne, ce n’est pas annuel.
Et ces forêts de “production” sont davantage inflammables ?
C’est comme la couleur noire et blanche. La couleur noire absorbe la chaleur, et le blanc réfléchit les rayons solaires. La forêt, c’est pareil. Les forêts feuillues composées notamment de chênes renvoient le rayonnement solaire, raison pour laquelle il y fait beaucoup plus frais. Il y a aussi une humidité au sol par rapport à une diversité des essences, des feuillages etc. Par contre la forêt résineuse emmagasine la chaleur. Donc c’est un attrait supplémentaire pour le feu, ça va beaucoup plus vite. La résine est un produit relativement inflammable. Dans les forêts de résineux, les feux se transmettent de cime en cime. Le feuillu fait un pare-feu quasiment naturel. Il a un pouvoir de résilience beaucoup plus important.
Que préconisez-vous ?
Il faut revenir à des valeurs plus humanistes et considérer que la forêt nous a précédés et quoi qu’il arrive, elle nous succédera. Qu’est ce qui freine ? On met en premier lieu la rentabilité, on considère la forêt pour son rôle économique. Mais la forêt a aussi un rôle social qui n’est pas quantifié. C’est le premier épurateur d’air et le premier épurateur des eaux. Est-ce qu’on comptabilise ces pouvoirs? L’arbre ce n’est pas qu’un matériau qui fait des planches et des poutres.
Surtout, il faut revoir la politique d’aménagement du territoire. À la Dune du Pilat, là où il y a eu d’énormes feux, les pompiers jetaient des bouteilles de gaz dans les piscines privées. Le problème c’est que les campings ont installé des mobiles homes dans les bois équipés de gaz. On entendait des explosions partout. Mais que font ces maisons dans les bois ? Les bois ne sont pas faits pour être urbanisés.
Pensez-vous que l’été 2022 sera celui de la prise de conscience ?
À chaque fois qu’il y a une catastrophe, des inondations, des voitures emportées, des morts, tout le monde s’émeut de suite. Cela devient la catastrophe. Mais ce qui me gêne, c’est que l’être humain a tendance à oublier très vite. J’espère qu’il y aura une vraie prise de conscience, d’autant que l’été n’est pas fini. J’espère que les pouvoirs publics vont être vigilants, revoir la politique de déboisement, de pare-feux, multiplier les plantations feuillues. On est optimiste mais la route est longue.
Propos recueillis par Marina Fabre Soundron
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