Ce n’est pas un hasard si la coopérative des Mutins de Pangée met à disposition des films gratuitement pour qui veut organiser des projections destinées à alimenter les caisses de grève. Derrière elle, il y a en effet tout un pan du cinéma pour lequel « l’engagement, ce n’est pas que des mots ».
Les grands médias parlent souvent des séries Netflix. À L’âge de faire, on préfère mettre en lumière les Mutins de Pangée et leur plateforme vidéo Cinémutins. Et pas seulement parce cette coopérative porte un joli nom ! Flash-back au début des années 2000 : une bande de passionnés qui militent pour une « télé pas pareille » se retrouvent autour de la télé libre Zaléa TV. Ni publique, ni financée par la pub. Libertaire. Zaléa TV est à l’époque un des fers de lance du « tiers secteur » audiovisuel, parmi les fondateurs de la Coordination permanente des médias libres (1). Olivier Azam était l’un de ses piliers. « On avait chacun des boulots dans le cinéma, à la télévision. Et avec l’argent qu’on gagnait, on faisait vivre des projets alternatifs. Au bout d’un moment, on en a eu marre d’avoir un pied dans chacun des deux mondes. On a monté la coop avec l’idée de professionnaliser ce qu’on faisait de manière militante. »
Vautier, Marker, Assange…
Lancée en 2005, la coopérative Les Mutins de Pangée permet aux fondateurs de fabriquer et de diffuser leurs propres films, « en prenant le temps, notamment grâce aux souscriptions militantes », comme l’a fait Olivier Azam avec Chomsky et Cie. En parallèle, la Scop se lance dans l’édition de DVD, distribue des films en salles… « Notre ligne éditoriale ? » C’est le genre de question qui ennuie Olivier Azam. Le cinéaste est plus bavard quand il s’agit de citer les « fiertés » des Mutins : par exemple un coffret DVD rassemblant 17 films de René Vautier – dont le fameux Avoir 20 ans dans les Aurès – accompagné d’un livre sur l’œuvre du « cinéaste le plus censuré de France ». Ou l’édition d’un coffret sur les groupes Medvedkine, dans les années 70, composés d’ouvriers qui, sous l’impulsion du cinéaste Chris Marker, ont filmé eux-mêmes leur quotidien. Bien entendu, Olivier Azam cite « l’aventure » Merci Patron ! à laquelle il a pris part derrière la caméra. Il y a aussi le documentaire Hacking Justice, qui décrypte l’acharnement judiciaire dont Julian Assange fait l’objet. « On en est à 170 projections-débats », se félicite le diffuseur mutin. Hacking Justice est également disponible sur la plateforme de vidéo à la demande (VOD) de la coop, parmi les 2 000 films proposés sur cinemutins.com. Grâce à cette plateforme, Les Mutins trouvent aujourd’hui leur équilibre économique, et peuvent continuer à porter des projets audacieux.
Les Mutins font Confiance
Olivier Azam ne cache pas son inquiétude quant à la disparition du DVD : « C’est pas le même travail d’éditer un DVD-livre sur un auteur que de sortir 5 films par semaine en VOD… Ce travail là, on ne pourra bientôt plus le faire ». Par contre, il relativise la baisse de fréquentation des salles obscures depuis la crise liée au Covid. « Cette baisse est réelle, mais on a vu en parallèle émerger tout un réseau, hors salles de cinéma, qui est sous les radars, pas du tout quantifié. On le voit pour les projections de Hacking Justice : beaucoup sont portées par de nouvelles associations, tiers-lieux, personnes qui nous ont contactés pour la première fois. Je suis plutôt optimiste sur le fait que le cinéma continue à rassembler, à être un support de rencontre et de débat. »
En 2019, lors de la première tentative de réforme des retraites, Les Mutins de Pangée ont eu cette idée géniale : mettre gratuitement à disposition des films, avec l’accord des ayant-droits, pour les projections dont les recettes alimentent des caisses de grève. Le dispositif a cartonné, ils l’ont réactivé en ce début d’année (2).
Déjà 35 790 euros récoltés
« Aujourd’hui [le 5 mars, Ndlr], on en est déjà à 384 séances. Chaque jour, on a une dizaine de demandes, et ça va crescendo. » Les Mutins font confiance : ils ne vérifient pas si la projection a donné lieu à une collecte, ni où va l’argent collecté lors des séances. Ils demandent simplement un compte-rendu par les organisateurs. « Sur les 198 qui nous sont parvenus, on en est à 35 790 euros collectés », se réjouit Olivier, qui insiste sur l’émergence de ce nouveau réseau hors-salles, en plus des traditionnels syndicats, Attac, etc. Avec cette gratuité, le « monde du cinéma » – réalisateurs, sociétés de production, de distribution, etc. –, dont Les Mutins, s’assoie sur « 150 à 200 euros environ » par séance. « Ça montre aussi que le cinéma engagé existe, que ce n’est pas que des mots. »
Fabien Ginisty
1 La Cpml, dont fait partie L’âge de faire.
2 Si vous souhaitez organiser une projection afin de récolter des fonds pour les caisses de grève, vous trouverez un mode d’emploi complet sur le site internet de la coopérative.
NB : À la suite de l’initiative des Mutins de Pangée, la plateforme de documentaires Tënk propose aussi la mise à disposition d’œuvres pour des projections de soutien aux caisses de grèves.
Pour en savoir plus ou lire la suite : Source | Lien vers l'article