Publié le 06 janvier 2023
ENVIRONNEMENT
La justice vient d’ordonner un non-lieu dans l’affaire du chlordécone, cet insecticide qui a empoisonné le sol de Guadeloupe et Martinique pendant des décennies. Alors que le taux de cancer de la prostate est parmi le plus élevé au monde dans ces îles, les juges ont reconnu un “scandale sanitaire” et une “atteinte environnementale”. Pour les parties civiles, qui annoncent faire appel, justice doit être rendue.
“Il faut des coupables !”. Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations futures ne mâche pas ses mots auprès de Novethic. L’association vient d’apprendre que le tribunal judiciaire de Paris a prononcé un non-lieu dans l’affaire du chlordécone à laquelle elle s’est portée partie civile. Ce pesticide a empoisonné massivement les Antilles de 1973 à 1993. Son utilisation permettait de lutter contre le charançon, le plus grand prédateur des bananiers. Mais ses effets délétères sont encore bien réels aujourd’hui.
95% des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais sont contaminés au chlordécone selon Santé publique France. Or dès 1979, l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé) a reconnu ce perturbateur endocrinien comme neurotoxique, reprotoxique (effet néfaste sur la fertilité) et cancérogène probable. Il a été interdit en France métropolitaine en 1990 puis trois ans plus tard dans les Antilles, en raison de son extrême toxicité.
Une négligence des pouvoirs publics
Les deux juges d’instructions parisiennes ont d’ailleurs qualifié la pollution des Antilles au chlordécone de “scandale sanitaire”. Elles reconnaissent par ailleurs une “atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants” de Martinique et de Guadeloupe. De même elles pointent “les comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques qui ont autorisé l’usage du chlordécone à une époque où la productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et écologiques”.
Des arguments forts et des termes symboliques qui ont pourtant mené à un non-lieu. Les magistrates estiment difficile de “rapporter la preuve pénale des faits dénoncés”, “commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes“, la première l’ayant été en 2006. Elles soulignent également “l’état des connaissances techniques ou scientifiques” au début des années 1990, qui “ne permettait pas” d’établir “le lien de causalité certain exigé par le droit pénal” entre le pesticide et les atteintes à la santé.
Cette décision n’est pas une surprise puisque le parquet avait requis un non-lieu le 25 novembre dernier, estimant que les faits étaient prescrits. En décembre, plusieurs collectifs, Lyannaj pou Depolyé Matinik et Lyannaj pou Depolyé Gwadloup avaient organisé des manifestations, évoquant un risque de “déni de justice”.
“On n’est pas surpris mais on est en colère”
Dans un communiqué publié le 8 décembre, le collectif guadeloupéen, réunissant de nombreuses associations, dénonçait 16 ans d’information judiciaire qui “rajoutent l’injustice au scandale”. “Cela fait déjà deux ans qu’on nous prépare à cette issue. Les juges n’ont pas mené l’enquête. Quand on ne cherche pas, on ne trouve pas”, fustige auprès de Novethic Me Christophe Leguevaques, avocat représentant plus de 1400 plaignants. “On n’est pas surpris mais on est en colère. S’il n’y a ni responsable ni coupable dans ce dossier, cela signifie que ceux qui profitent de la rente des pesticides vont continuer à polluer”, dit-il.
L’avocat ainsi que plusieurs parties civiles, ont annoncé faire appel du non-lieu des juges d’instruction. “Si la cour d’appel ne nous donne pas raison, nous ferons un pourvoi en cassation. Nous sommes déterminés à aller jusqu’à la Cour de cassation et à la Cour européenne de justice pour que justice nous soit rendue“, a par ailleurs déclaré à France info le maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et avocat historique des victimes du chlordécone, Harry Dumiel. Dans un tweet, l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage écrit qu’au scandale d’État, “s’ajoute désormais un scandale judiciaire”.
#chlordécone au scandale d’État, s’ajoute désormais un scandale judiciaire. l’utilisation d’un produit dangereux en parfaite connaissance ne peut rester impunie alors que le dommage se fait toujours ressentir
— Corinne lepage (@corinnelepage) January 6, 2023
Générations futures appelle par ailleurs la France à être “courageuse”. “Derrière l’affaire du chlordécone, c’est le scandale des pesticides qui couve”, argue Nadine Lauverjat.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP
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