L. Estival, L. Pedrola, A. Verronneau |
26 Février 2023 |
2156 mots
Présenté par la Commission en novembre 2022, le texte visant à réduire drastiquement les emballages, qui fait partie du “dernier” grand chantier de l’exécutif européen d’ici les prochaines élections, va entrer, avec l’ouverture des débats dans les prochaines semaines au Parlement européen, dans une phase décisive. Un texte qui n’est pas sans susciter de vifs remous… (en accès libre)
Réduire, Réemployer, Recycler. Ces trois verbes, regroupés par les spécialistes sous le nom de règle des “3R”, résument à eux seuls la nouvelle ambition de l’Union européenne en matière d’emballages, sur laquelle le Parlement va devoir trancher. Les propositions de la Commission, qui concernent également les déchets d’emballages, visent à combler les lacunes de la précédente directive sur le sujet qui datait de… 1994, et à accélérer le mouvement en ne s’en tenant pas cette fois-ci à des propos généraux. La Directive initiale, un des deux principaux volets – avec le projet de directive sur l’éco-conception – du Plan d’action “économie circulaire” européen, s’est de fait transformée en Règlement. Un changement qui ne laisse donc plus de marge de manœuvre aux États membres dans sa mise en œuvre. Les caractéristiques des emballages concernés devraient d’ailleurs être détaillées tandis que des objectifs précis seront chiffrés. “Il y aura une harmonisation européenne des pratiques, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas“, se félicite Romane Colleu, conseillère affaires européennes de Citeo, le principal opérateur français de la filière REP (Responsabilité élargie des producteurs) sur les emballages et le papier, en train de scruter à la loupe les propositions de la Commission mises sur la table en novembre dernier. “Certains éléments doivent être précisés“, ajoute-t-elle, décrivant un texte “ambitieux“.
Vers un texte transformateur ?
D’autres, en revanche, à l’image de Diane Beaumenay, Responsable de plaidoyer pour l’ONG Surfrider Foundation, ou de Marco Musso, expert économie circulaire au sein de l’European Environmental Bureau (EEB), estiment que le texte aurait pu aller plus loin. En témoignent par exemple les objectifs en matière de réemploi des emballages qui, entre la première mouture du texte de l’exécutif européen et celui qui sera tout prochainement soumis aux députés et aux Etats membres, ont été revus à la baisse. Elles sont par exemple passées, pour les boissons en vente dans le commerce, de 75 % à 25 % d’ici à 2040, de 50 % à 30 % d’ici à 2030 pour les emballages utilisés pour le transport, et de 80 % à 50 % d’ici à 2040 pour ceux mis sur le marché par les plateformes de e-commerce. Les arbitrages et compromis qui sortiront de ces débats – tout comme la mise en œuvre de ce qui aura été acté – donneront en tous cas une idée du pouvoir transformateur ou non de ce futur règlement.
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Aller au delà du taux de recyclage
Concrètement, la Commission propose tout d’abord de réduire de 5 % les déchets d’emballages en 2030 par rapport à 2018, puis de 10 % en 2035 et 15 % en 2040. “Cela représente une vraie réduction sur la partie déchets, bien que l’on voie des prévisions avec une augmentation de 2 % par an de mises en marché d’emballages dans des pays comme la France ou l’Italie”, estime Alexis Eisenberg, Directeur France et francophonie de Reloop, association spécialisée dans les systèmes de consigne. La précédente directive a d’ailleurs échoué à limiter la production de déchets d’emballages. La raison ? Une attention concentrée avant tout sur … le taux de recyclage. C’est pourquoi, dans ses propositions, la Commission multiplie les approches. Première d’entre elles : éviter les emballages inutiles provenant par exemple du suremballage, éviter le vide dans les emballages dédiés aux transports – ce qui n’est pas aujourd’hui le cas – , supprimer les petits contenants de shampoing ou savons offerts dans les hôtels ou encore les unidoses de sauce dans la restauration, ou limiter à 40 le nombre d’emballages plastique “léger” par an et par habitant… “Bien sûr tout le monde n’a pas la même définition de l’emballage inutile, commente Diane Beaumenay, anticipant les oppositions. Pour certains hôtels et restaurants, proposer ces produits emballés, dédiés à un usage personnel, correspondent à un standard de service. Pour nous, ce sont de faux critères et nous espérons que leur interdiction restera dans le règlement…”
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Une notion de réemploi désormais définie, avec des objectifs
Le projet de règlement définit des niveaux de recyclabilité par catégorie allant de A à E. A horizon 2030, tous les emballages devront être recyclables et certains seraient interdits si leur taux de recyclabilité est inférieur à 70% du poids de l’unité d’emballage en 2030. Cette mesure s’ajoute à des objectifs de recyclage par matériaux allant de 30 % pour le bois à 85 % pour le papier et carton en 2030 à la charge des Etats membres. “Les défis à relever dépendent aussi de la mise en place de nouvelles filières de recyclage dans certains pays, comme par exemple en France, concernant le polystyrène“, poursuit Romane Colleu.
Pour diminuer les déchets d’emballage, la Commission compte également sur le réemploi. Le terme avait déjà été introduit dans la précédente directive mais cette fois-ci, une définition précise en est donnée et son développement n’est plus facultatif. Des cibles à horizon 2030 et 2040 ont été détaillées par secteur, telles que 10 % de réemploi en 2030 pour la nourriture à emporter, 20 % pour les boissons à emporter ou encore 30 % pour les emballages servant au transport (palettes, boîtes en plastique, etc.). Pour les industriels, cela représente un véritable changement de modèle d’affaires. “Il ne s’agit plus seulement de payer une éco-contribution pour financer le modèle de collecte et de tri des emballages à usage unique, mais vraiment de s’organiser pour revoir ses emballages, organiser la récupération, travailler avec des stations de lavage”, explique Alexis Eisenberg. “Par exemple, illustre Diane Beaumenay, pour la livraison, il s’agirait de développer des boîtes de colis réutilisables. Le client recevrait sa commande et devrait ramener la boîte en collecte ou bien la renvoyer”. “Et si ces transformations vont créer des emplois, encore faut-il disposer des compétences pour en faciliter la mise en place“, s’inquiète Maxime Dupont, manager conseil et RSE chez Bartle.
Standardisation des contenants, lavage : vers de nouvelles organisations
Ces nouvelles obligations posent en effet la question de la capacité des acteurs de la filière à s’organiser en tant qu’industrie. Concernant le réemploi, pour l’instant, le texte ne contraint pas à une standardisation des contenants, mais cette option est régulièrement évoquée par les spécialistes. “Il semble difficilement concevable de produire demain une grande diversité de contenants de tailles et formes différentes, le réemploi implique une standardisation des contenants”, estime Alexis Eisenberg. Autre point d’interrogation : comment seront développées les usines de lavage, qui n’existent pas aujourd’hui dans la plupart des pays européens. “Comment m’organiser si mon entreprise est basée dans le Nord de la France et que j’envoie des produits à des clients situés dans le Sud ?, s’interroge le responsable. Il y a tout un schéma industriel à repenser”.
Le réemploi cristallise en effet les oppositions des industriels. “Il y a encore beaucoup de réserves sur cette question”, reconnaît le porte-parole de Reloop. Nombre d’entre eux, à l’image de Coca-Cola ont fait de gros investissements dans le recyclage. “Ce qui nous dérange, commente un lobbyiste bruxellois cité par nos confrères de Contexte, c’est de devoir investir des millions dans la collecte et la recyclabilité pour ensuite nous dire de passer au réemploi”. Romane Colleu rappelle cependant :”En réalité, il n’y a pas de contradiction entre recyclage et réemploi .” D’autres exigences d’écoconception sont en effet définies dans le projet de règlement telle que l’incorporation à l’horizon de 2040 de 65 % de plastique recyclé dans tous les emballages dont ceux destinés à être réemployés. “Dans ces conditions, il sera nécessaire de créer les conditions de marché pour répondre aux objectifs”, ajoute l’experte.
Emballages consignés : contrainte ou solution ?
Le problème posé par le futur règlement européen concerne en réalité la collecte. Si le taux de récupération d’un État membre n’atteint pas 90 %, consécutivement, en 2026 et 2027, il aura l’obligation de mettre en place un système de consigne en 2029. “Cela créé une pression sur les États membres qui sont en dessous”, pointe Alexis Eisenberg. Un changement important pour les pays qui comme la France – ou encore l’Italie et l’Espagne – ont, ces vingt ou trente dernières années, axé leurs efforts sur le recyclage et donc sur l’usage unique. L’emballage à usage unique n’impose pas, en effet, de gérer la fin de vie, les externalités sont traitées par d’autres opérateurs, notamment les collectivités.
Le gouvernement français a d’ailleurs lancé le 30 janvier dernier une consultation avec les acteurs censée se terminer le 1er juillet pour échanger sur la manière dont une future consigne pourrait être mise en œuvre. Sur ce sujet, la directive européenne stipule qu’elle pourrait concerner aussi bien les emballages à recycler que ceux pouvant être réemployés. Avec, selon Citeo une différence de taille : obligatoire pour les emballages en plastique ou en métal ayant une capacité supérieures à 3 litres, facultative pour le réemploi. Dans ce cadre, quatre études de l’Ademe sont en cours, notamment pour identifier les taux de collecte que la France pourrait atteindre sans consigne et définir le périmètre d’un éventuel dispositif. “Les leviers pour faire progresser le taux de récupération des bouteilles en plastique sont analysés, mais cela semble très ambitieux de faire +30 % en 3 ans, d’autant que sur les dernières années, on a fait à peine +5 ou 6 %”, estime Alexis Eisenberg.
La recherche de solutions sera sans aucun doute âprement négociée par les industriels, in fine responsables de la mise sur le marché des emballages. Ceux-ci vont en effet devoir s’acquitter de nouvelles obligations : à partir du 1er janvier 2030, les emballages devront être recyclables, selon des critères qui restent encore à préciser. Et cinq ans plus tard, ils devront démontrer qu’ils sont bien recyclés à l’échelle. En cas de non-respect, ils encourent une contravention dont le montant sera fixé ultérieurement par chaque Etat membre.
Dérogations, compostabilité… et une ambition questionnée
Au-delà des aspects techniques, les experts s’interrogent sur la réelle ambition de ce texte : “La proposition contient de nombreuses dérogations qui ne sont pas justifiées, cela n’est pas rassurant, estime Marco Musso. Par exemple, les emballages innovants n’auraient pas à répondre aux exigences de recyclabilité pendant cinq ans. C’est une exception très large, qui vient créer une échappatoire”. “C’est assez innovant d’avoir des objectifs de réemploi affichés, ça donne la couleur aux industriels, mais ils ne sont pas assez ambitieux, certains pays les atteignant déjà”, estime quant à elle Diane Beaumenay.
Des précisions doivent également être apportées sur le type d’emballages compostables, la proposition de la Commission précisant que leur quantité restera très limitée. “Les emballages compostables sont un sujet compliqué, qui doit être encadré pour éviter de polluer les sols, précise Diane Beaumenay, il faut qu’ils soient 100% biodégradables, 100 % biosourcés, exempts de substances toxiques, ce qui est rarement le cas. Par ailleurs, il ne faudrait pas aboutir à des exploitations agricoles cultivées pour ces emballages“.
Autant de questionnements et de trous dans la raquette qui viendront alimenter les débats au Parlement européen et au Conseil dans un timing extrêmement serré… Le temps est en effet compté pour que ce Règlement puisse être adopté d’ici la fin de la législature. “Il est regrettable que ce règlement arrive si tard, avec un an et demi de retard par rapport au calendrier initial et après deux ans et demi de consultation, lâche Marco Musso. Et si les négociations n’aboutissent pas avant les élections européennes, ce sera autant de temps et d’énergie perdus.” Avec le risque de laisser à tous les acteurs un goût d’inachevé, au moment, où plus que jamais, il est au contraire urgent d’accélérer. La Commission le dit on ne peut plus clairement dans son exposé des motifs : au cours des dernières années, l’augmentation des emballages, supérieure à la croissance du PIB de l’UE, a généré une montée en flèche des émissions de CO2 et des pollutions, une surexploitation des ressources et une perte de biodiversité…
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