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Reinfocovid « au-delà des clivages », mais jusqu’où ?

reinfocovid

L’âge de faire : Quelle est votre première réaction suite à la lecture de cet article ?
Fabien Moine : Quand je lis votre journal, je trouve qu’il y a beaucoup de points convergents avec ce qu’on propose, en particulier cette idée du « faire ». Je n’ai pas compris pourquoi vous aviez publié un article aussi réducteur, c’est pourquoi je vous ai téléphoné. Je vous remercie de nous avoir proposé cet échange. Je suis éducateur de santé et éditeur. Aujourd’hui, on vit dans un monde très clivé, encore plus depuis le Covid, où il fallait être pour ou contre le masque, le vaccin, etc. Dans mes différents engagements, j’ai au contraire la volonté de mettre en lien, d’ouvrir des zones de médiation dans lesquelles on peut s’exprimer, où les gens peuvent se retrouver malgré leurs différences. C’est par exemple le cas dans ma pratique d’accompagnement à la santé, où j’ai pu exercer dans une maison de santé [regroupant des soignants allopathiques et holistiques] en tant que naturopathe. Les projets dans lesquels je m’investis sont « apartisans », car c’est de cette manière qu’on répond aux besoins du plus grand nombre.
Louis Fouché : C’est précieux d’avoir cette discussion, car c’est ensemble qu’on construit le monde dont on a envie. Pas en séparant, pas en mettant des étiquettes. Moi, je suis médecin anesthésiste réanimateur [actuellement, Louis Fouché est suspendu car non vacciné, Ndlr]. J’ai été confronté dans ce cadre à plein de questionnements éthiques, en particulier notre rapport à la technique en santé, à l’expropriation progressive du système de santé par le système technicien, un peu dans la suite d’Ellul et d’Illitch. Au moment du Covid, j’ai touché du doigt le fait qu’on était dans une crise plus globale. On
a lancé le mouvement Reinfocovid, on s’est retrouvé entre médecins, chercheurs, puis avec des citoyens, pour comprendre la crise, et rapidement, pour « faire ». Il y a eu par exemple CoviSoins, un réseau d’entraide citoyenne.
Mais on sait tous que le problème est plus profond : les Occidentaux sont en mauvaise santé. Au sein de Reinfocovid, il y a des gens qui sont dans la nutrition, le travail sur les émotions, l’activité physique… C’est un univers que je ne connaissais pas. J’y ai croisé autant de charlatans qu’en médecine allopathique, mais il y a aussi des gens fiables qui essayent de mettre les gens en situation d’autonomie. C’est ce qui m’a touché avec Fabien, c’est pour ça qu’on est devenu amis et qu’on a commencé à faire des choses ensemble. Comme lui, je travaille le petit endroit dans lequel on peut, quelles que
soient nos différences par ailleurs, commencer à avancer. On a fait un film, Tous résistants dans l’âme (1), qui montre des gens qui font de la permaculture, de l’école autrement, du soin autrement, de l’éco-auto-construction…

Louis Fouché, vous êtes un des porte-parole de Reinfocovid. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur son fonctionnement interne ?
Louis Fouché : Reinfocovid est un collectif informel, qui fonctionne en holacratie : n’importe qui peut décider n’importe quoi, la seule chose qu’on demande, c’est que la personne qui veut prendre une décision recueille l’avis des autres. Elle peut aller à l’encontre de ces avis, mais dans ce cas, les autres peuvent « soulever un conflit » : trois coordinateurs sont tirés au sort pour arbitrer la tension. Les coordinateurs ne doivent pas avoir de mandat politicien. Au sein du collectif, il y a le « cercle cœur » pour les décisions générales, dont je fais partie, on est environ 25. Il y a aussi le groupe scientifique, le groupe des artistes, et le groupe « Témoignages », chaque groupe fonctionnant en souveraineté, de cette même façon.
Reinfocovid a cessé d’exister en tant que tel. On a éteint le « cercle cœur » pour laisser la place à tous les collectifs qui se sont structurés à la suite de Reinfocovid : plus de 250 collectifs locaux, le Conseil scientifique indépendant, ReinfoSanté, Une nôtre santé, des initiatives culturelles, autour des monnaies locales… La plupart de ces groupes sont en gouvernance partagée, mais je ne sais pas s’ils le sont tous : chacun est libre de s’organiser comme il veut.

Le site reinfocovid est, lui, toujours en activité. Le premier lien qu’on y trouve est une invitation à commander un livre. Il est précisé que « les bénéfices réalisés sur ce projet seront entièrement reversés au Média en 442 ». Comment a été fait ce choix ? (2)
Fabien Moine : Depuis 2020, le groupe Témoignages [6 personnes, Ndlr] dont je fais partie a recueilli des témoignages liés aux difficultés rencontrées durant la crise Covid. Avant de dissoudre Reinfocovid, on a voulu conserver ces témoignages sur papier, pour qu’il y ait une mémoire. Nous n’avons pas l’intention de faire des bénéfices avec ce livre, simplement de le vendre à prix coûtant. Mais pour vendre un livre, il faut une boutique, une structure juridique… Or, Reinfocovid est un collectif informel. Yoann [Yoann Coulon, le patron de la boutique en ligne contrepropagande.fr, par ailleurs actif au sein du Média en 442, Ndlr] nous a proposé cette solution : vendre le livre via sa boutique, et donner les « résidus » éventuels au Média en 442. Il n’y avait donc pas du tout d’intention de notre part de financer le Média en 442. La présentation faite sur le site de Reinfocovid est maladroite.

Louis Fouché : La solution la plus simple aurait été que Fabien, qui est éditeur, publie ce livre avec sa maison d’édition. Mais il a refusé par principe, pour qu’il n’y ait aucun soupçon de conflit d’intérêt, étant donné qu’il faisait partie du groupe Témoignages. Quand ils ont présenté cette solution au groupe cœur, il n’y a pas eu d’avis contraire à ma connaissance. Il faut bien comprendre aussi que le groupe cœur de Reinfocovid, ce sont des bénévoles qui se réunissent le soir sur Zoom, au sein d’un collectif en train de s’auto-dissoudre, on est des amateurs…

En visitant Le média en 442, on tombe sur une vidéo, mise en ligne avant le second tour de la présidentielle, qui appelle, sans aucune ambiguïté, à voter Marine Le Pen. D’après le média Streetpress (3), l’animateur du Média en 442, Christophe J., est un proche d’Alain Soral, idéologue d’extrême-droite… Est-ce qu’à titre personnel, ce lien entre Reinfocovid et un média d’extrême droite vous pose question ?
Fabien Moine : J’insiste sur le fait que cette décision a été prise dans l’urgence, alors que Reinfocovid était en train d’être dissous et qu’on n’avait aucune autre solution. Cette solution s’est présentée, on en a discuté, on a dit OK. Ensuite, on ne pouvait pas récupérer les bénéfices éventuels par absence de structure juridique.
Louis Fouché : Au sujet de la vidéo appelant à voter Marine Le Pen, je vous réponds clairement : je ne cautionne pas ça. Je ne suis pas d’accord avec ça, point. C’est ma réponse entière et définitive à titre personnel. Je n’appelle à voter pour personne, sûrement pas pour Marine Le Pen. Quant au lien économique dont vous parlez, je ne l’avais pas perçu et il me pose question. Ça me donne envie de rediscuter de ce partenariat au sein de Reinfocovid. (2)

Dans cette volonté de rassembler le plus largement possible, n’y a-t-il pas un piège de se faire récupérer par un parti qui, par essence, divise en fonction de la couleur de peau, de la religion… L’extrême droite, nous, à L’âge de faire, on la voit comme un danger. Est-ce que vous, vous avez une interrogation personnelle par rapport à ça ?
Fabien Moine : Dès le début avec Reinfocovid, on a affiché notre intention d’être apartisans. Ce positionnement a d’ailleurs sûrement participé au succès de la démarche. Or, dès l’instant où un discours, une personne, un collectif prend de l’ampleur, il est tentant pour les partis de s’en approcher. J’ai réalisé un documentaire pour témoigner de la situation intolérable des 130 000 soignants suspendus (4). Il y a quelques semaines, on m’a proposé une conférence sur ce sujet avec Virginie Joron, députée européenne RN. Beaucoup de questions se posent : pourquoi ils viennent vers moi ? Quel est leur intérêt ?
Si j’accepte, qu’est-ce qu’on retiendra de cette conférence ? Du coup, je n’ai pas encore pris de décision. Le problème, c’est que très peu de partis et de médias de masse parlent des suspendus. Ça me désole de voir que c’est chez Hanouna qu’on en parle le plus, pour folkloriser leur détresse.
Moi, j’ai envie de voir la cause des suspendus portée plus largement, mais si je veux porter cette voix, soit je me retrouve dans un cadre ridicule, soit je me fais potentiellement récupérer…
Louis Fouché : Moi, à la base, je suis médecin, pas communicant ! J’ai appris sur le tas. Je me suis par exemple retrouvé avec un néonazi chez moi, alors qu’on me l’avait présenté comme un cuisinier qui venait faire un reportage sympa. Tu peux vite te retrouver dans des pièges que tu ne maîtrises pas. Quand on m’a proposé une interview à Valeurs Actuelles, en tant que porte-parole de Reinfocovid, j’ai demandé l’avis au groupe, qui était partagé. J’ai décidé d’y aller, en me disant que beaucoup de gens d’extrême-droite pensent aussi que le système ne va pas, mais mettent dessus un nom
qui n’est pas le bon : « les méchants immigrés ». J’ai estimé que ça pouvait être intéressant d’essayer de les toucher.
Après, la récupération, j’ai l’impression que c’est fatal. C’est pénible, mais quand tu veux transformer la matière, il te faut passer par les institutions qui existent déjà pour faire en sorte que ton discours, ou les initiatives que tu portes, puissent prendre de l’ampleur. Un collectif comme Reinfocovid, qui réunit
au départ sur les questions sanitaires et la liberté, va forcément attirer des gens de toutes influences, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, un peu comme avec les Gilets jaunes. Si on s’est regroupé, c’est pour aller au-delà de ces clivages : « Toi, tu penses que le problème, c’est les méchants immigrés, moi je pense que c’est les méchantes multinationales ». Mais peut-être qu’un jour, ces clivages redeviendront importants.

Est-ce qu’on peut mettre sur le même plan l’extrême gauche et l’extrême droite ?
Louis Fouché : Si tu prends séparément les programmes, il a plein de choses séduisantes qui veillent à ce qu’on soit bien ensemble, mais dans chaque camp, le package global des programmes comporte des éléments inacceptables pour une ou l’autre partie de la société. Pour moi, les partis, quels qu’ils soient, sont des usines à diviser. À l’arrivée, t’arriveras pas à la masse critique suffisante pour transformer le gros ventre mou passif de notre société, qui, pour sa part, attend juste le confort qui lui est donné par des multinationales. Je suis apartisan par choix pragmatique. Et puis on peut faire de l’idéologie pendant des plombes, à la fin, il va bien falloir faire avec les gens tels qu’ils sont.

Recueilli par Fabien Ginisty et Nicolas Bérard

(1) www.tousresistantsdanslame.fr (2) L’entretien s’est déroulé le 7 avril. Le lien depuis la page d’accueil de Reinfocovid.fr pour commander le livre, et la référence au Média en 442, ont été supprimés la semaine suivante. (3) Alain Soral, parrain des complotistes anti-vaccins, février 2022.
(4) soignants-suspendus.fr

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