Publié le 08 décembre 2022
GOUVERNANCE D’ENTREPRISE
Mercredi 7 décembre s’est tenu, au tribunal judiciaire de Paris, le premier procès sur le devoir de vigilance qui oppose la major Total Energies et son méga projet pétrolier Eacop/Tilenga à six ONG. Cette loi, adoptée de façon pionnière en France en 2017, impose aux multinationales de publier des plans de vigilance pour prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. L’ordonnance a été mise en délibéré au 28 février 2023.
Ce n’est pas une mince affaire qui a atterri sur le bureau du juge des référés du tribunal judiciaire de Paris ce mercredi 7 décembre. Il s’agissait de la première audience sur la loi sur le devoir de vigilance, qui impose depuis 2017 aux plus grandes entreprises de publier des plans de vigilance pour prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. En octobre 2019, deux ONG françaises, Les Amis de la Terre et Survie, et 4 ONG ougandaises avaient lancé une action en référé contre Total Energies. Après plusieurs péripéties, l’audience tant attendue s’est enfin tenue.
Les ONG attaquent Total Energies sur son plan de vigilance et sa mise en œuvre effective autour du méga projet pétrolier Eacop/Tilenga mené en Ouganda et en Tanzanie par la major française. Celui-ci prévoit la construction du plus grand pipeline chauffé au monde de près de 1 500 kilomètres, le forage de 400 puits dont un tiers dans le parc national des Murchison Falls et des dizaines de milliers de personnes expropriées, le plus souvent des agriculteurs qui se voient privés de la jouissance de leurs terres. En outre, le bilan carbone du projet, estimé à 33 millions de tonnes de CO₂ par an, est dramatique faisant d’Eacop/Tilenga l’une des 425 bombes climatiques aujourd’hui développées à travers le monde.
Un procès médiatique ?
Ce qui fait dire à l’avocat de la défense, maître Antonin Lévy, qu’il s’agit là d’un procès avant tout médiatique. “Pourquoi cette obstination à être le premier dossier, l’affaire emblématique, qui fera peut-être jurisprudence au détriment des intérêts des populations défendues ?, a-t-il lancé à la barre. On veut faire le procès de Total Energies, le procès d’Eacop/Tilenga, le procès de la pollution, du risque climat. Mais nous ne sommes pas à notre place. Car le plan de vigilance a été conçu comme un dialogue et non pas comme un combat. Ce sur quoi vous devez vous prononcer aujourd’hui, Monsieur le juge, est sur l’existence du plan et des mesures de mise en œuvre. Nous pourrions passer des heures à parler du fond, mais ce n’est pas l’objet de la procédure.”
Et du fond, il en aura en effet été peu question du côté de la défense, dont la stratégie a consisté à démontrer que la loi était davantage un outil de dialogue entre les parties prenantes qu’un objet de litige. “La société civile vous propose son interprétation de la loi, dans une logique maximaliste matériellement impossible à mettre en œuvre et contre-productive, qui voudrait que tous les risques soient identifiés, dans tous les pays, dans tous les projets. Cela s’oppose au critère de raisonnabilité posé par le législateur et montre le fossé qui existe entre ce que prônent nos contradicteurs et le principe de réalité d’un groupe de cette taille, présent dans 130 pays et comptant 100 000 salariés” a complété sa consœur maître Ophélia Claude.
C’est bien là le cœur de l’affaire. Alors que la loi sur le devoir de vigilance “se résume à une page format A4, sans décret d’application ni schéma directeur ou autre charte sur laquelle s’appuyer”, comme l’a souligné le juge des référés, celui-ci doit-il simplement se contenter d’acter l’existence d’un plan et de mesures effectives ou se prononcer sur leur pertinence et leur mise en œuvre ? “Rien n’est prévu dans la loi sur la façon de contrôler l’effectivité des mesures ?” a interrogé le juge, visiblement mal à l’aise.
“Total Energies tente de rendre la loi devoir de vigilance inapplicable”
“La loi n’est pas parfaite mais elle se doit d’être suffisamment large pour embrasser tous les secteurs et couvrir toutes les atteintes aux droits humains et à l’environnement. Elle ne peut pas préciser ce que doit être le plan de vigilance de chaque entreprise, rétorque Juliette Renaud pour Les Amis de la Terre, à la sortie de l’audience. Cette loi est le fruit d’un long combat qui a duré trois ans et demi durant lequel les lobbys l’ont affaiblie. Ce travail de sape se poursuit avec Total Energies qui parle très peu de ce qui se passe en Ouganda et qui essaie de démonter la loi”.
“Total se contente d’un plan générique et de mesures abstraites. Il se fait le fer de lance des multinationales en tentant de rendre la loi devoir de vigilance tout simplement inapplicable pour que les multinationales continuent d’échapper à leurs obligations”, abonde l’avocat de l’ONG, Maître Louis Cofflard. Celles-ci demandent au juge des référés d’enjoindre, sous astreinte financière, Total Energies à mettre son plan de vigilance en conformité, à verser immédiatement les compensations dues aux personnes expropriées et à suspendre à titre conservatoire les travaux, qui doivent démarrer en janvier 2023. De son côté, Total propose une médiation. L’ordonnance a été mise en délibéré le 28 février 2023.
Concepcion Alvarez @conce1
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